2 janvier 2023

La santé des femmes au travail : vers des entreprises plus inclusives

Rédigé par Joelle Jablan, conseillère diversité et inclusion

A l’occasion de la journée mondiale de la Ménopause le 18 octobre 2022 et dans les jours qui ont suivi, votre fil d’actualité LinkedIn était peut-être envahi de publications d’entreprises anglo-saxonnes affichant fièrement leur label d’employeur « Menopause Friendly » ou « Endometriosis Friendly ».  Etrangement du côté des entreprises belges, le silence est saisissant.

Pourquoi aborder la question de la ménopause et plus largement de la santé biologique des femmes au travail ?  Quels sont les enjeux pour les entreprises, et plus spécifiquement pour le secteur à profit social ? Qu'est-ce qui, concrètement, peut être mis en place par les entreprises ?

La santé biologique des femmes au travail : un sujet encore tabou en Belgique

Les spécificités biologiques des femmes comme les menstruations et la ménopause sont encore considérées comme tabous dans le milieu du travail, tout comme l’a été la maternité pendant longtemps. Souvent relayées à la sphère privée, ces questions sont peu, voire pas du tout adressées dans les entreprises.

« Pourtant la majorité des femmes a été impactée par ces spécificités à un moment où à un autre : que ce soit pour des aspects pratiques ou pour des inconvénients liés aux symptômes. Pour cette simple raison, il est essentiel de mettre le sujet sur la table. » affirme d’emblée Caroline De Bie, conseillère diversité et inclusion, passionnée pour l’épanouissement de l’humain au travail et l’équité sociale.

Comment expliquer un tel silence autour de cette thématique ?

Le poids des stéréotypes de genre

Dans un monde professionnel pensé par les hommes, les problématiques liées à la santé biologique des femmes intéressent peu car il s’agirait d’une « affaire de femmes ». Qui plus est de « femme fragile » qui ne tolèrerait pas la douleur. « Même au niveau médical, l’on se rend compte qu’il y a un certain biais : souvent les femmes qui se plaignent de leur biologie ne sont pas prises au sérieux. » souligne Caroline De Bie.

Cette tendance à sous-estimer l’impact des douleurs liées au cycle menstruel explique notamment la reconnaissance très tardive de l’endométriose comme pathologie. Ignorée du corps médical, peu connue des patientes, elle a été pendant longtemps mal diagnostiquée. La mobilisation de la société civile a été déterminante pour la prise en compte de cette maladie comme pathologie organique. Selon l’asbl « Toi mon endo », l’endométriose toucherait environ 10% des femmes en âge de procréer.

La peur du stigmate

Souvent les femmes ne parlent pas de l’impact de leur santé biologique au travail de peur d’être stigmatisées et jugées comme moins performantes. Elles craignent alors de se voir refuser une promotion ou d’être plus facilement ciblées lors d’un licenciement.

Absence de sécurité psychologique pour briser les tabous 

En outre, c’est souvent l’absence de « sécurité psychologique » dans les équipes qui freine la liberté de parole.

La sécurité psychologique au travail désigne la croyance partagée au sein de l’équipe que l’on peut librement exprimer ses idées, ses questionnements, ses préoccupations, ses erreurs, montrer qui l’on est réellement, sans risque d’être moqué·e, embarrassé·e, rejeté·e voire humilé·e.

Si le sujet de la santé biologique des femmes est abordé dans un environnement caractérisé par son absence de sécurité psychologique, le sujet risque de n’être pas pris au sérieux : nombreux sont les témoignages de travailleuses qui racontent que lorsqu’elles ont partagé leurs symptômes liés à la ménopause, cela a déclenché des commentaires, ou on leur a répondu sur le ton de l’humour. Ce qui peut être déstabilisant, voire humiliant.

La santé biologique des femmes au travail : un enjeu de l’égalité professionnelle

Fatigue, douleurs, troubles d’humeur, stress, difficulté de concentration, les symptômes liés au cycle hormonal varient d’une femme à l’autre mais peuvent avoir un impact réel sur le bien-être des femmes au travail, sur leur carrière, mais aussi sur les entreprises qui pourraient faire face à une baisse de productivité, et plus globalement sur l’économie.

Etudes & chiffres

En l’absence de données sur le sujet en Belgique, il faut traverser la Manche pour obtenir quelques chiffres. Selon une étude britannique, 59 % des femmes entre 45 et 55 ans présentant des symptômes de ménopause reconnaissent que cela a un impact négatif sur leur travail.

De même, dans une étude néerlandaise réalisée auprès de 32.748 femmes âgées de 15 à 45 ans sur l’impact des douleurs menstruelles, près de 14% des sondées déclarent s'être déjà absentées du travail ou de l'école pendant leurs règles et 3,4% précisent que cela s’est produit pendant chaque cycle menstruel ou presque. Les femmes déclarent s’absenter en moyenne 1,3 jour par an.

L’étude conclut que si les symptômes liés aux menstruations peuvent entrainer une perte de productivité, c’est davantage à cause du présentéisme, à savoir une présence continue au travail en dépit de symptômes sévères qui ne permettent pas de travailler correctement, plutôt que de l’absentéisme. En effet, la majorité des autres femmes a répondu qu'elles allaient quand même au travail ou à l'école, tout en admettant que la douleur nuisait à leur efficacité plus de 23 jours par an.

Selon Caroline De Bie « certaines études montrent qu’une femme sur deux aurait renoncé à une opportunité de carrière parce qu’elle était confrontée à des symptômes importants liés à sa biologie. D’autres vont même jusqu’à quitter le monde du travail car c’est trop lourd à porter comme problème physique et psychologique. »

Constats spécifiques dans le secteur à profit social

Dans le secteur à profit social, les femmes sont largement majoritaires par rapport aux hommes. Dans les métiers du care, par exemple, les données de l’ONSS montrent que les femmes représentent : 80% dans le secteur hospitalier ; 88% dans les maisons de repos et de soins ; 96% dans les crèches et 95% dans le secteur des aides familiales à domicile. La prise en compte de leurs spécificités biologiques est donc un enjeu particulièrement important.

En outre, dans certaines professions du secteur qui sont exigeantes d’un point de vue physique, la pénibilité des tâches peut se voir renforcée par des symptômes de douleur. C’est le cas notamment pour les gardes à domiciles qui doivent déployer une force physique, souvent sous-estimée, pour pouvoir manipuler les corps des bénéficiaires lors des soins prodigués.

« Il y a ce double fardeau notamment dans les métiers physiques : si la femme est impactée par une condition (par exemple l’endométriose, ou des syndromes prémenstruels avancés) que faire ? Comment porter une charge lourde ? » souligne Caroline de Bie.

Quelques pratiques inspirantes

Certaines entreprises mettent en œuvre des actions concrètes en faveur de l’égalité professionnelle. Parmi les pistes de solution :  

  • Créer une salle de repos : c’est notamment ce qu’a fait Article #27 Bruxelles qui a aménagé au sein même de l’institution un espace physique inclusif ayant pour objectif de « prendre en compte les spécificités de chacun.e ».
  • Sensibiliser les responsables hiérarchiques afin qu’elles et ils soient bien informé·es et aptes à aborder ces discussions délicates avec leurs employées sur leurs symptômes et les ajustements qui pourraient être nécessaires.
  • Autoriser une flexibilité dans les horaires de travail et dans les moments de présence au bureau, via par exemple une Charte de télétravail. Cela permet aux femmes d’organiser leurs tâches en fonction de la gravité des symptômes liés au cycle hormonal afin que cela n’affecte pas leur productivité. Cela permet également d’éviter le présentéisme. En outre, cette mesure ne bénéficie pas uniquement aux personnes menstruées ou ménopausées, mais à tous les membres du personnel.
  • D’autres solutions plus simples permettent aussi d’éviter les inconforts au travail. Par exemple, la ventilation pour apaiser les bouffées de chaleur associées à la ménopause. Cela peut également consister à fournir du matériel de bureau ergonomique.

A Caroline De Bie de conclure : « Attention à ne pas tomber dans l’essentialisme. Penser que les femmes – du fait de leur biologie – sont naturellement moins performantes que les hommes est une interprétation erronée. C’est bien l’environnement et l’organisation du travail qui souvent ne sont pas adaptés si bien que les femmes ne sont pas en mesure de déployer tout leur potentiel. »

Ainsi, si l’on veut offrir les mêmes opportunités de carrière à tout individu – quel que soit son genre – il faut pouvoir offrir des conditions de travail adéquates.

 

Vous souhaitez approfondir la thématique et développer des solutions concrètes au sein de votre organisation ? Inscrivez-vous à notre workshop du 16/02/2023 « Brisons les tabous : la place de la santé des femmes au travail » animé par Caroline De Bie. Celui-ci s’adresse aux directions, coordinations, responsables RH, responsables d'équipe, du secteur à profit social bruxellois. Info et inscription sur notre site.