10 juillet 2025

Que faire quand les subsides ne suivent plus ?

1. Introduction

Face à l'absence de gouvernement bruxellois et à la reconduction de crédits provisoires, de nombreuses ASBL font face à une incertitude budgétaire de plus en plus intenable. Faute de perspectives claires, et bien que la volonté première soit de maintenir l'offre de services et l'ensemble de l'emploi, certaines ASBL se trouvent contraintes d’envisager des mesures difficiles pour préserver leur viabilité. Comment, dans ce contexte, adapter sa politique RH ? Quelles sont les pistes légales pour suspendre ou mettre fin à certains contrats de travail ? À l’inverse, lorsqu’un engagement reste nécessaire, sous quel statut est-il judicieux de recruter ? Et comment sécuriser un contrat lié à un subside incertain ?

Cette fiche ne prétend ni proposer une solution unique, ni conseiller des mesures radicales. L’objectif n’étant pas non plus de prétendre qu’il est possible d’accomplir autant de missions en ayant moins de travailleurs, ou en leur proposant des contrats de plus en plus précaires. Mais le constat est là : beaucoup d’ASBL ont dû, ces derniers mois, ajuster leurs effectifs — que ce soit via le non-renouvellement de contrats, le recours au chômage temporaire, ou la réorganisation du travail au sein des équipes. C’est une réalité pénible, mais autant y faire face en étant bien informé et bien accompagné.

Dans cette fiche, plusieurs pistes vous sont présentées pour soulager votre ASBL tant d’un point de vue fiscal que RH. Celle-ci ne prétend toutefois pas à l’exhaustivité.

2. Pistes RH

La première partie de cette note a pour objectif de brièvement aborder les solutions RH et de fournir des ressources pertinentes. Certaines thématiques seront approfondies et feront l’objet de fiches thématiques ultérieures, à consulter sur la page de LEXECO.

PISTE 1 : La rupture conservatoire

1. Qu’est-ce que c’est ?

La rupture conservatoire est dépourvue de fondement juridique en tant que tel.  Il s’agit d’une rupture de contrat de travail "classique" : immédiate et irrévocable. Concrètement, pour anticiper une fin de subside, un employeur peut licencier un travailleur et lui annoncer que, si le subside est versé, il pourra rester en poste (un travailleur qui continue à prester après la fin de son préavis, est considéré comme engagé sous CDI).  Si l’ASBL ne perçoit pas l’argent, il aura en revanche été stratégique que le travailleur ait déjà entamé son préavis.

 2. Subsides et préavis

Les subsides ne couvrent en principe pas le coût des préavis non prestés, contrairement aux préavis prestés. L’INAMI accepte de payer les préavis payés et non prestés moyennant une argumentation solide.

3. Etalement

L’article 39 bis de la loi du 3 juillet 1978 prévoit, dans le cas d’un licenciement moyennant indemnité compensatoire de préavis, que : "L'employeur peut payer l'indemnité de congé visée à l'article 39, § 1er, par mensualités en cas de licenciement effectué par une entreprise en difficulté ou qui connaît des circonstances économiques exceptionnellement défavorables." L’arrêté royal du 29 aout 1985 définit ce qu’il convient d’entendre par entreprise en difficulté.

4. Travailleurs protégés 

Délégués syndicaux, membres du CPPT, du conseil d’entreprise mais également candidats non élus aux élections. Ces catégories de travailleurs peuvent seulement être licenciées pour un motif grave préalablement admis par la juridiction du travail ou pour des raisons d’ordre économique ou technique préalablement reconnues par l’organe paritaire compétent.

Quid des travailleurs en maladie, en congé maternité, en congé parental, ou encore le personnel de confiance ? Il s’agit de protections relatives. Il est possible de mettre un terme à ces contrats de travail si des motifs étrangers au congé le justifient : par exemple pour des raisons économiques.

Si vous licenciez des travailleurs proches de l’âge de la pension. Ils percevront en plus du chômage, un complément : payé par vous (ressource : Le régime de chômage avec complément d'entreprise (RCC)), ou un fonds agissant à votre place, à condition que cela soit prévu dans une CCT qui vous est applicable. Depuis le 30 juin 2025, seul le RCC pour raisons médicales reste en vigueur : la CCT n° 165 du CNT prévoyant le régime de chômage avec complément d'entreprise (RCC) pour les travailleurs âgés souffrant de problèmes physiques graves vient en effet, d’être prolongée de six mois par la nouvelle CCT n° 173.

5. Risque de qualification : le licenciement collectif

Il convient d’être prudent au risque de qualification de licenciement collectif si vous procédez à plusieurs licenciements au sein de votre structure qui compte +20 travailleurs. Est considéré comme "licenciement collectif", tout licenciement, pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne des travailleurs, qui affecte, au cours d'une période de 60 jours, au moins le nombre de travailleurs suivant :  

  • Dans les entreprises occupant en moyenne + de 20 et - de 100 travailleurs au cours de l'année civile précédant le licenciement : 10
  • Dans les entreprises occupant en moyenne au moins 100 et - de 300 travailleurs au cours de l'année civile précédant le licenciement : 10% du nombre de travailleurs
  • Dans les entreprises occupant en moyenne au moins 300 travailleurs pendant l'année civile précédant le licenciement : 30 

Dans ce cas, une série d’obligations s’imposent : une phase d’information et de consultations sont à respecter.  L’employeur devra aussi créer une cellule pour l’emploi pour le reclassement professionnel. En cas de non-respect de la procédure spécifique liée au licenciement collectif, l’employeur devra réintégrer les travailleurs ou leur payer une indemnité complémentaire.

6. Obligation annexe au licenciement

Dans certains cas, l’employeur doit offrir au travailleur licencié un outplacement : soit un accompagnement pour l’aider à retrouver un emploi ou développer un projet professionnel.

PISTE 2 : Jouer sur le temps de travail

Mesure moins radicale que le licenciement : la réduction volontaire du temps de travail va vous permettre de diminuer les couts liés au paiement des rémunérations. Il convient toutefois de garder à l’esprit les conséquences pour le travailleur (diminution de sa rémunération et de son droit aux vacances annuelles, impact sur le chômage).

1. Temps partiel volontaire

Il suffit de conclure avec le travailleur un avenant à son contrat de travail. Attention qu’un travailleur doit au minimum prester 1/3 temps, et fournir une prestation de travail d’au moins 3 heures.

2. Travailleur à temps partiel avec maintien des droits 

Si vous licenciez un travailleur et le réengagez à temps partiel, il pourra, moyennant le respect de certaines conditions, retrouver sa rémunération à temps plein. En effet, il est possible de recevoir une allocation complémentaire (allocation de garantie de revenus) en plus de la rémunération à temps partiel, par l’ONEM. Il faudra introduire la demande de maintien des droits dans un délai de 2 mois.

3. Congés thématiques 

Les congés thématiques sont des formes spécifiques d’interruption de carrière.  Pendant une période déterminée, ils permettent aux travailleurs d’interrompre complètement ou partiellement (1/2, 1/5 ou 1/10 temps) ses prestations pour des besoins précis. On dénombre 4 motifs différents : parental, pour assistance médicale, soins palliatifs, aidant proche. Pendant les congés thématiques, le travailleur reçoit des allocations d’interruption de l’ONEM, à titre de revenu de remplacement. L’employeur n’est donc plus en charge du paiement de la rémunération complète du travailleur.

4. Crédit-temps : à temps plein, mi-temps, 1/5.

Pour les motifs suivants :

  1. Soins à son/ses enfant(s) de moins de 8 ans
  2. Soins palliatifs
  3. Soins à un membre du ménage ou de la famille gravement malade
  4. Soins à son/ses enfant(s) de moins de 21 ans atteint d’un handicap
  5. Soins à son/ses enfant(s) mineur(s) gravement malade ou à un enfant mineur gravemement malade, faisant partie de son ménage
  6. Suivre une formation reconnue

Des conditions spécifiques s'appliquent pour le droit au crédit-temps et aux allocations, notamment en termes de durée, d'âge et d'ancienneté, selon le motif. Pour plus d’informations : ICI. Quant au crédit-temps fin de carrière, il fait l’objet d’une Fiche Technique LEXECO disponible sur le site internet.

Il est essentiel de consulter les CCT applicables à votre secteur pour connaitre le régime de crédit-temps qui vous est propre.

En outre, le système du crédit-temps est tout à fait indépendant des congés thématiques. Cela signifie que le crédit-temps avec motif qui a été pris n'est pas comptabilisé sur les congés thématiques et inversement qu'un congé thématique n'est pas déduit des possibilités de crédit-temps avec motif.

Exemple : Un travailleur qui a pris 4 mois de congé parental comme congé thématique pour s'occuper de son enfant et qui n'a jamais pris de crédit-temps peut, après ce congé parental, encore utiliser à certaines conditions le crédit-temps avec motif de 51 mois pour s'occuper de son enfant.     

PISTE 3 : Suspendre le contrat de travail ?

Il est possible pour une structure non marchande de recourir au chômage temporaire soit en raison de cause économique ou de force majeure. Consultez la fiche technique spécifique à cette thématique.

PISTE 4 : Formes de contrats et clauses utiles

Engager du personnel demeure nécessaire pour votre structure mais quel contrat utilisé dans ce contexte d’incertitude budgétaire ?

1. Le CDD 

Le contrat de travail à durée déterminée doit être constatéer par écrit et mentionner la durée ou la date de fin des prestations, et ce au plus tard au moment de l’entrée en fonction du travailleur. La prudence est de mise avec les CDD successifs. Il convient en effet de respecter les principes suivants :

  • Maximum de 4 CDD successifs, d’une durée de 3 mois au moins chacun et à condition que la durée totale de ces contrats ne dépasse pas 2 ans.
  • Moyennant l’autorisation du Contrôle des lois sociales, CDD successifs d’une durée de 6 mois au moins chacun à condition que la durée totale de ces contrats ne dépasse pas 3 ans.
2. Le contrat de remplacement

Un contrat de remplacement doit être constaté par écrit et mentionner au minimum : le motif du remplacement, l’identité du travailleur remplacé, la durée du contrat (maximum 2 ans) et les modalités de rupture. Il s’agit de remplacer un travailleur dont le contrat est suspendu.

Exemple : un contrat de remplacement peut être conclu pour le remplacement d’un travailleur malade, en congé de maternité ou parental, en crédit-temps, pendant ses vacances annuelles,…

Le travailleur remplaçant ne doit pas obligatoirement occuper le poste du travailleur qu’il remplace, ni occuper les mêmes fonctions. 

3. Le contrat pour un travail nettement défini

Dans ce type de contrat, le travailleur dispose, dès avant son entrée en service, d’une description précise du travail qui lui permet d’estimer de manière précise l’étendue du travail demandé et la durée nécessaire pour l’accomplir.

/!\ Pour les CDD, CR, CTND conclus à partir du 8 mai 2023, une nouvelle règle est entrée en vigueur concernant leur succession : ICI 

4. Le contrat temporaire

Méconnu et distinct de l’intérim, ce type de contrat est régi par la Loi du 24 juillet 1987 relative au travail temporaire, au travail intérimaire et à la mise de travailleurs à la disposition d'utilisateur. Le contrat de travail pour l'exécution d'un travail temporaire peut être conclu dans trois hypothèses :

  • Le remplacement temporaire d'un travailleur permanent dont le contrat de travail est suspendu ou d'un travailleur dont le contrat a pris fin
  • Le surcroît temporaire de travail
  • L'exécution d'un travail exceptionnel

Il peut prendre la forme des 3 contrats susmentionnés : CDD, CR, CTND.

PISTE 5 : Insertion d’une clause

1. La clause résolutoire

L’employeur peut insérer dans le contrat de travail une clause résolutoire, c’est-à-dire une clause portant sur un événement futur et incertain dont la survenance entraîne la rupture des relations contractuelles. Lorsque cet évènement se réalise, le contrat prend fin automatiquement, sans délai de préavis. Pour qu’une telle clause soit valable, elle doit satisfaire plusieurs exigences :

  • la condition convenue ne peut pas être contraire à une règle impérative ou d’ordre public (Exemple : est interdite la clause qui prévoirait que le contrat prend fin lors du mariage de la travailleuse ou si elle attend un enfant).
  • la condition doit être décrite clairement et sans équivoque ; la condition doit être précise et déterminée, mais sa date peut être incertaine, pour autant qu’elle soit déterminable précisément ;
  • cette clause ne peut autoriser une partie à mettre fin au contrat de travail par la seule volonté d’une des parties. (Exemple: la réussite d'une épreuve organisée par l'employeur).

Exemple de clause résolutoire valable :

"Le présent contrat de travail est conclu sous la condition résolutoire expresse de l’obtention et du maintien d’un subside octroyé par [nom du pouvoir subsidiant], dans le cadre de l’appel à projets [intitulé ou référence de l’appel]. En cas de non-octroi du subside ou de retrait du financement en cours de contrat, celui-ci prendra fin de plein droit à la date de la décision de non-octroi ou de retrait, notifiée à l’employeur."

PISTE 6 : Recruter

1. Sous contrat de travail
2. Via mise à disposition
3. Autres statuts
  • Bénévoles 
  • Indépendants
  • Etudiants stagiaires
  • Apprentis
  • Stagiaires

3. Qu’est-il possible d’envisager en termes financiers ?

Il est également possible de jouer sur les aspects financiers de votre structure. Voici quelques suggestions pour rationaliser les coûts, ou créer des recettes, en bref pour améliorer la santé financière d’une ASBL.

  • Faire appel aux services d’un spécialiste en subsides.
  • Exercer des activités commerciales annexes. Pour rappel, une ASBL est autorisée à exercer des activités commerciales et industrielles tant que l’argent sert au profit de son objet social et non à octroyer des avantages à ses membres.
  • Contracter un crédit pont : en attendant la liquidation d’un subside, il vous est possible de contracter un prêt à court-terme auprès d’une banque. A noter qu’il est tout à fait possible de le faire auprès d’une banque différente de celle qui héberge les comptes de l’ASBL.
  • Répondre à des appels à projets.
  • Obtenir des délais de paiement. Pour le paiement des cotisations sociales, il est possible de contacter le Comité de Gestion de l’ONSS et de convenir de plans de paiement (report ou diminution de l’amende pour retard de paiement en argumentant la force majeure).
  • Mutualiser des fonctions. Nous vous rappelons l’existence de BRUSHARE : groupement d’employeurs qui met à disposition plusieurs fonctions (DPO, comptable,..). Pour plus d’informations à ce sujet : (contact)
  • A ne pas oublier et si le scénario du pire venait à se produire : en cas de faillite de l’ASBL, le FFE, peut intervenir pour payer les indemnités contractuelles des travailleurs (avec un maximum de 30.500 euros par travailleur).

4. Conclusion

Cette fiche thématique constitue un aperçu des pistes envisageables pour offrir du répit à votre structure. Elle n'a pas pour prétention d'être exhaustive. En outre, la réalité  de votre structure doit toujours être prise en considération. Une communication claire et transparente avec ses travailleurs est essentielle. A l’inverse, il convient d’éviter un discours alarmiste et la prise de décisions précipitées, justifiées par des réformes annoncées mais qui ne sont pas encore en vigueur.

Avec le soutien de : 

Personne de contact
Sophie Van Goethem
Sophie
Van Goethem
En tant que conseillère juridique, Sophie est responsable de la gestion et du développement du projet LEXECO pour le pôle juridique afin de renforcer la gestion optimale et globale des ASBL bruxelloises.
02 210 53 00